Noircir les faits - Espace51 - 2025 - Genève
Noircir les faits
Derrière un titre plutôt paradoxal en des temps déjà assez sombres, se révèle une pratique dans laquelle le visible est entièrement tourné vers le tangible. Photographies, moulages et empreintes de toutes sortes, c’est toujours sur le mode de l’indice que mes pièces se manifestent. Les différentes techniques de reproduction que j’utilise ont toutes pour but de produire de la trace, c’est-à-dire un état attestant à la fois d’une présence et d’un effacement. De l’original, qu’il s’agisse d’un objet ou d’une image, il ne reste que l’écho, soit un signal altéré et différé.
Reporter les choses n’est donc pas ici les rapporter fidèlement, mais dans le geste et le temps du report s’en éloigner un peu. Ce n’est pas le même qui m’intéresse, mais le double, ce même mais autre, avec le trouble qui l’accompagne. En troublant ainsi la vue, mes pièces retardent leur réception et forcent l’attention. Un matériau peut vite être pris pour un autre, une image disparaître aussi furtivement qu’elle est apparue. Le visible est ici toujours en sursis, fragilisé dans ce qui se perçoit au risque de ne plus rien montrer du tout, ou alors dans sa matérialité même quitte à le mettre en danger, demandant littéralement de faire attention, de reconnaître cette fragilité pour lui permettre d’exister.
Mais c’est aussi par les mots que le double ou le doute est semé. Chaque titre est construit en jouant sur les polysémies et les associations. En ce sens, Noircir les faits peut à la fois venir questionner un pessimisme latent ou être une manière de l’organiser, selon la belle formule de Walter Benjamin « organiser le pessimisme », donc de lui faire face (son usage est ici sans doute abusif, il n’en reste pas moins qu’elle me revient régulièrement en tête). Noircir les faits nommerait ainsi une façon d’appréhender le monde, un moyen de prendre sa trace, comme si avec un charbon, je venais en frotter la surface afin d’en rendre l’empreinte. C’est encore un clin d’œil à ma pratique qui se décline uniquement en noir et blanc.
Cette exposition constitue le premier volet du projet L’extinction des feux qui tire son titre de la série présentée dans l’exposition. L’expression qui remonte aux temps où la lumière était fournie par la flamme d’une bougie que l’on éteignait au moment du coucher a été reprise dans le langage militaire qui lui a donné une signification plus autoritaire. Résonnant de plusieurs manières avec la période actuelle et mon travail, elle est devenue le titre d’un projet mêlant principalement installation et photographie. L’expression définit un cadre sémantique qui guide mes recherches et dans lequel s’inscrivent des pièces déjà réalisées. Cet ensemble ouvert de pièces se renvoyant les unes aux autres invite les spectateur·x·ices à arpenter un territoire mental dans lequel resurgissent les bruissements du monde.
Le point aveugle - Standard/Deluxe - 2017 - Lausanne
Le point aveugle
«Toute rétine possède une zone aveugle, étonnamment grande, appelée le point aveugle, situé à l’endroit où les fibres nerveuses et les vaisseaux sanguins quittent l’œil. »
Ce trou du regard qui est notre tache aveugle, cet oubli, ce manque, cette lacune sont autant de mots et de notions qui stimulent l’imaginaire. Cette absence que le cerveau reconstitue est un mystère irrésolu, et cette absence suscite le désir, le désir de regarder.
Le fait qu’une partie de l’image ne soit pas donnée à voir provoque une frustration, une suspicion. Du coup notre cerveau complète, invente, construit cette béance et il en fait quelque chose de parfois beaucoup plus fou, beaucoup plus désirable que ce qui est.
La tache aveugle comme l’œil du cyclone et non pas l’œil du cyclope (qui verrait sans profondeur). Cette absence questionne le système de la vision parce qu’il représente son imperfection, et en cela, il est le symptôme d’une prise de conscience de son propre appareil optique.
Les matériaux qu’utilise Xavier Bauer sont: des cendres, de la poussière, des images trouvées, des souvenirs de guerre intemporels, la lumière, l’ombre des objets, l’ombre des images.
Le travail de l’artiste construit un champ perceptif en suggérant des approches multiples du spectateur, car suivant le point de vue, l’image se dérobe, puis réapparaît. L’impermanence des pièces questionne notre perception, les croyances et les lacunes de celle-ci.
L’image est subtilement mise en espace, elle est découpée, rehaussée de poussière, éclairée, juste décalée du mur, elle perd sa bidimensionnalité pour nous suggérer une autre dimension, une dimension mentale.
Avec Socles, bloc de cendre compressé, le paradoxe de la perception est exacerbé, en effet, l’illusion de solidité est égale à la fragilité de la pièce, qui peut d’un souffle redevenir poussière.
La sobriété de l’esthétique utilisée rejoint l’intention de se rendre à la limite du visible.
Il y a quelque chose de magique et de métaphysique dans le travail de Xavier Bauer.
Virginie Otth
Avant de m’endormir, la ville, de nouveau… - Espace Ruine - Exposition collective sur une proposition de Xavier Bauer - 2021 - Genève
Avant de m’endormir, la ville, de nouveau...
Nous avons quelques indices: un titre, des éléments d’architecture, des traces laissées sur les murs du quartier, un espace d’exposition nommé Ruine.
Le titre est la première phrase du roman d’Alain Robbe-Grillet Topologie d’une cité fantôme, dans lequel le narrateur s’attarde longuement sur la description de bâtiments, qu’ils soient existants, en ruines, ou enfouis. Il y est également fait mention d’un certain David G.
Les éléments d’architectures présentés sont eux aussi issus de bâtiments existants, ou peut-être en ruines, ou peut-être enfouis. Certains nous apparaissent en creux, n’existant que par la surface du papier que la lumière n’a pas atteinte, d’autres au contraire ont littéralement la matérialité de l’original. Mais tous surgissent de leur propre effacement et leur présence même implique une disparition.
Tous ne sont peut-être pas des bâtiments bien qu’ils puissent y faire penser. Tous ne sont peut-être pas réels. La frontière entre ce qui pourrait relevé de la fiction ou être prélevé directement du réel n’est plus bien définie et cesse d’être valide.
Il faudra donc (re)construire à partir de fragments et d’espaces laissés vides, un lieu, une ville, ou alors le décor d’un rêve ou d’un roman.
Avec
Xavier Bauer
David Gagnebin-de Bons
Manouche Vallet
Photographies de l’exposition © David Gagnebin-de Bons
Ruines et pixels - Espace Culturel Assens - 2020
L’écho du visible - Andata/Ritorno - 2015 - Genève
Photographies de l’exposition © Julien Gregorio