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Noirs et Blancs

Il y a des situations où nous sommes dépossédés de notre toute-puissance de voir et où le visible apparaît sous d’autres modalités, des zones où le visible et l’invisible ne sont plus opposés mais se mélangent. Elles indiquent une autre manière de voir qui se rapproche du sentir.

Le brouillard et le crépuscule s’inscrivent dans ces territoires sensibles d’un visible instable, précaire et vacillant. Arpenter de tels territoires requiert une attention soutenue ; il ne faut pas se perdre, il ne faut pas se cogner. On avance doucement, à tâtons, absorbés dans l’exercice de nos perceptions.

À mesure que la géographie des contours se délite, une perméabilité s’installe entre les choses qui semblent perdre leur consistance, leur poids de réalité; spectres flottants dans la brume, théâtre d’ombres dans l’obscurité. Le temps lui-même hésite.

Mal voir, c’est aussi ne pas tout voir d’un seul coup. Le visible est différé, fractionné, étendu. En perdant la vision frontale d’un champ de vision dégagé, nous entrons, dans la pénombre et dans le brouillard, dans un véritable espace perceptif. Voir devient alors se mouvoir.

Un certain état du visible

En physique, la matière peut exister sous différents états. Diverses propriétés de la matière varient selon l’état et se traduisent par des comportements différents. Certaines conditions doivent être réunies pour qu’un changement s’opère. Un processus s’engage alors, la menant d’un état à l’autre.

Produire un certain état du visible, c’est là toute la visée des procédés que j’élabore. A l’atelier, j’observe longuement différents matériaux, procède par intuition, cherche la surprise et la travaille. La posture est celle du chercheur et de l’inventeur ; à la différence que chez moi la technique a pour but le détour, voire une forme de ralentissement. Les procédés restent en soi relativement simples et c’est même la condition qui me permet d’en assurer toute la chaîne opératoire. Avec une économie de moyens, j’invite la personne qui regarde à s’interroger sur la nature de ce qu’elle a sous les yeux, privilégiant les images et les volumes au statut incertain.

Ombres, reflets, empreintes, c’est toujours sur le mode de l’indice que mes pièces apparaissent. Elles se situent entre ce qu’il reste encore et ce qui a disparu. Je les qualifie souvent de doubles affaiblis car elles sont à penser comme un écho de leur référent premier (image, objet ou matériau), une présence différée et différente. Car comme dans l’écho, ce qui nous revient est altéré. Et cette présence altérée existe ou plutôt s’affirme par ce qui lui a été enlevé. Travailler par soustraction est pour moi une manière de produire de la trace, c’est-à-dire un état attestant à la fois d’une présence et d’un effacement.

On retrouve dans chaque pièce, qu’elle mette en jeu l’image ou non, une certaine dissolution du visible qui existe sur un mode spectral et évanescent. Le voir y est fragilisé, instaurant le brouillard et la pénombre comme régimes de visibilité. Des liens se tissent entre le visible et le tangible.

Images, indice, présence/absence, pas étonnant donc que la photographie plane sur mon travail. Elle n’en constitue cependant pas directement le centre. Elle-même matière à produire de la trace, elle arrive toujours dans un second temps et est prise au sein de divers processus. L’image qui en résulte devient indissociable des différentes étapes et des matériaux qui l’ont fait naître. Une contamination s’installe entre le sujet et le support, comme si l’un influait directement sur l’autre.

C’est d’ailleurs moins le sujet que l’on regarde que la manière dont les images surgissent ou plutôt resurgissent. Elles se présentent en train d’apparaître et préfigurent plus qu’elles ne figurent. Et comme l’une des qualités de l’apparition est d’être furtive, j’essaie toujours de garder cet état précaire et vacillant pour en faire des images natives et évanescentes à la fois, des apparitions disparaissantes.

A travers des techniques toujours renouvelées se manifeste une même mise en condition du visible. Ce qui s’y perçoit est au voir ce que la lueur est à la lumière. Maintenues dans un état à la fois fragile et persistant, mes pièces s’affirment ainsi dans la présence discrète de ce qui luit.


Né en 1977, Xavier Bauer vit et travaille à Genève. Il est diplômé de la Haute école d’art et de design - HEAD, et a effectué une année à l’Escola Massana de Barcelone dans le cadre d’un programme d’échange.

Il a collaboré avec de nombreuses institutions en Suisse romande (Musée Rath, MAMCO, Halle Nord, CACY, Ferme des Tilleuls) et à l’international (Centre Français de Berlin, Biennale de l’Image Tangible de Paris, Turkan Saylan Kültür Merkezi d’Istanbul). Son travail a également été montré dans le cadre de festivals, notamment le Belluard Bollwerk International, Diffraktion #12, Baz’art, et la BIG. Il a bénéficié d’une résidence au Centre genevois de gravure contemporaine - AGGC en 2023 et 2024.

Son œuvre figure dans la collection du Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève et dans diverses collections privées, notamment la collection Erwin Oberwiler.

Impliqué dans de nombreux collectifs, il est membre fondateur de l’association d’artistes Kugler Est, membre actif Visarte et membre du collectif Noctuidae. De 2010 à 2013, il a co-dirigé l’espace d’exposition Espace Kugler.


Expositions

2025 — Noircir les faits - solo show - Espace51 - Genève

2024 — La Grande Distribution - collective - Espace Ruine - Genève
Impression II - collective - Atelier Genevois de Gravure Contemporaine - Genève
Biennale des artistes de Kugler - collective - La Fonderie - Genève

2023 — Hic&Nunc - en collaboration avec Laurence Favre - Diffraktion #12 - Centre français - Berlin
Hic&Nunc - en collaboration avec Laurence Favre - Nano Raum für Kunst - Zürich

2022 — Compo/starium - collective - Ferme des Tilleuls - Renens

2021 — Biennale de l’Image Tangible - collective - Atelier Basfroi - Paris
Avant de m’endormir, la ville, de nouveau… - collective - Espace Ruine - Genève

2020 — Ruines et Pixels - collective - Espace Culturel Assens

2019 — Un certain regard - collective - Baart - Genève
Orbis Terrae - collective - Domus Poetica - Bellinzona

2018 — Effacements - collective - Galerie C - Neuchâtel

2017 — Le point aveugle - solo show - Standard/Deluxe - Lausanne

2016 — Artgenève - acquisitions récentes du FMAC
Capsule 1.32 - Halle Nord - Genève

2015 — L’écho du visible - solo show - Galerie Andata/Ritorno - Genève
Mise en abîme - collective - La Ferme de la Chapelle

2014 — Carnet de bal - les 20 ans du Mamco - collective - La Fonderie - Genève
Utopie picturale 2 - collective - La Fonderie - Genève
Gate 6 - collective - Turkan Saylan Kültür Merkezi - Istanbul

2013 — Bulbfiction - collective - CACY - Yverdon-les-Bains
Baz’art Festival - festival transdisciplinaire - Genève

2012 — Courant continu - collective - Halle Nord - Genève

2011 — Périphérique Nord - collective - Cheminée Nord - Genève
Kugler Remix - collective - La Fonderie - Genève

2010 — Contrepoids - solo show - Espace Kugler - Genève
Belluard Bollwerk International - festival transdisciplinaire - Fribourg

2009 — Post Tenebras Luxe - collective - Musée Rath - Genève
Millimètres - solo show - Cheminée Nord - Genève
Champs|Contre-Champs - collective - Centre culturel Assens


Collaborations

2017 — Vertical - Fougères - une pièce Zofia Klyta-Lacombe - Le Galpon - Genève

2015 — Particule 3254m - une pièce Zofia Klyta-Lacombe - Chapiteau de Vidy - Lausanne

Publications

Biennale de l’Image Tangible - Catalogue d’exposition

Les Chroniques de l’art contemporain - Karine Tissot - L’apage/InFolio

CACY [kaki] n. m. 2013-2017 - art&fiction publications/CACY

Livre d’A/R - Andata/Ritorno - Laboratoire d’art contemporain 1981-2017

Post Tenebras Luxe - Donatella Bernardi - Labor et Fides


Where do images come from? Where do they go?

Xavier Bauer’s installations embody this enigma. Hovering between existence and nothingness, his pieces revolve around the action of “revelation.” Their setting determines whether images and forms will materialize – and to what extent – while an economical use of resources and pinpoint precision undergird their minimalism. The fragility with which these works are constructed is inseparable from the fragility of what is seen.

Dancing between the visible and invisible, images linger below the surface, suspended in a frail and flickering state. Rather than simply appearing, we see them in this state – poised on the verge of visibility. Images slip ephemerally beyond traditional categories of stasis and movement as they dance in and out of view.

Consequently, spectators react ambivalently, struck by what they see yet incapable of fully grasping it, reeled in by the fleeting images just beyond their ken. Whether searching, moving, or simply waiting, viewers become direct participants in the work’s appearance and – photographically speaking – shape its development.

While the thermochromic screens inspire us to wait patiently in place in order to fathom their subtle transformation, the fleetingness of the photograms pushes us to move and play with point of view. In the echoes series, the viewer approaches for a better look and finds that the images have completely disappeared. Kept at a distance, the images are like a mirage – undoubtedly because both are incorporeal. Spectral and evanescent, they always appear as a series of shadows and reflections.

When contemplating Xavier Bauer’s work, viewers therefore come head-to-head with the first question – where images come from – as they seek to understand what they perceive. But beyond this enigma, our wish to “reveal” and “seek out” is bound up in our yearning for image itself.